VI
MAUVAIS SANG

Immobile au-dessus de son reflet, telle une maquette, le bâtiment de Sa Majesté Britannique La Faucheuse aurait attiré l’œil de n’importe quel badaud qui ne fût marin de métier. C’était une frégate de 26, caractéristique des vaisseaux qui avaient connu les débuts de la guerre révolutionnaire contre la France, vingt ans plus tôt. La Faucheuse possédait les lignes élégantes et la grâce de ces navires dont on manquait toujours désespérément, alors comme maintenant. Commander l’une de ces unités était le rêve de tous les jeunes officiers : libéré de la tutelle sévère d’une escadre et à l’abri des lubies d’un amiral, vous aviez une chance sérieuse d’y faire la preuve de vos capacités, dans les pires conditions si nécessaire.

Selon les standards de l’époque, La Faucheuse paraissait plutôt modeste, à peine plus grosse qu’une corvette, et elle n’était certainement pas de taille à se mesurer aux nouvelles frégates américaines qui avaient déjà su faire la preuve de leur supériorité, tant par la puissance de leur armement que par leur endurance.

En cette journée d’avril, dans cette lumière aveuglante, La Faucheuse était quasiment encalminée. Les voiles pendaient, immobiles ou presque, la flamme était sans vie. Sur son avant et de chaque bord, les avirons de deux de ses chaloupes se levaient et retombaient comme des ailes fatiguées. Les embarcations tentaient de garder le vaisseau manœuvrant jusqu’à ce que le vent veuille bien se lever.

La Faucheuse avait presque achevé sa traversée – douze cents milles – depuis Kingston, en Jamaïque, et cette navigation lui avait déjà demandé près de deux semaines. Ils avaient croisé le trentième parallèle la veille au crépuscule et, le lendemain dès l’aube, si le vent revenait, ils devraient apercevoir les collines luxuriantes des Bermudes.

Ils étaient en mission d’escorte – ce qu’il y a de pis pour un bâtiment de guerre rapide –, une tâche fastidieuse mais nécessaire. Il fallait sans cesse régler les voiles pour essayer de garder son poste par rapport à leurs lourds protégés. Pour tout commandant, c’était une épreuve de patience. Il ne restait plus qu’un seul des bâtiments marchands à relâcher aux Bermudes ; les autres avaient gagné sans encombre différents ports des îles Sous-le-Vent. Ce navire, chargé à ras bord, le Killarney, devait se joindre à un convoi solidement défendu qui rentrait en Angleterre. Plus d’un marin regardait avec envie ses voiles inanimées et le mal du pays se répandait comme une fièvre à la seule idée d’y penser.

La Faucheuse avait pour unique conserve un petit brick bien robuste, l’Alfriston. Comme tous les navires de ce type, il avait commencé sa carrière dans la marine marchande jusqu’à ce que les nécessités de la guerre lui permettent de changer de mission. Même avec une lunette, on le distinguait à peine, largement sur l’arrière du navire marchand, encalminé et en inclinaison nulle, pareil à un moustique posé sur l’eau.

Mais une fois débarrassée de son lent protégé, La Faucheuse allait retrouver sa liberté. Pourquoi paraissait-elle si différente de toutes ces frégates qui, après avoir résisté aux vicissitudes et aux désastres de la guerre, étaient devenues des légendes ?

Ce qui frappait peut-être, c’était le silence qui régnait à bord. Alors qu’elle emportait cent cinquante officiers marins et fusiliers dans sa coque élégante, on aurait cru qu’elle était sans vie. On n’entendait que le claquement des voiles vides sur les espars et les enfléchures. De temps à autre, le grincement du safran brisait ce silence irréel. Les ponts étaient propres et, comme la coque, dans un état impeccable et repeints de frais. Comme tous les vaisseaux qui s’étaient battus en ce jour de septembre 1812, on ne voyait pratiquement plus aucune trace des avaries qu’elle avait subies. La véritable avarie dont elle souffrait était bien plus profonde – c’était une sorte de sentiment de culpabilité, de honte.

À l’arrière, près de la lisse de dunette, le commandant de La Faucheuse se tenait bras croisés, attitude qu’il adoptait fréquemment lorsqu’il était plongé dans ses pensées. Âgé de vingt-sept ans, c’était déjà un capitaine de vaisseau confirmé. Sa peau claire semblait défier la chaleur des Antilles ou la fureur soudaine de l’Atlantique. Le visage était sérieux ; on aurait pu dire qu’il était beau, n’étaient ces lèvres pincées. Un homme chanceux, selon certains, et bien placé pour connaître un prochain avancement. C’était la première campagne de La Faucheuse depuis que le navire avait bénéficié de réparations à Halifax, et il en était le nouveau commandant. Une étape obligatoire, et il savait pertinemment pourquoi on l’avait choisi. Le dernier commandant de La Faucheuse était un homme plutôt âgé pour son grade, et qui avait délaissé le monde plus rangé de l’Honorable Compagnie des Indes orientales pour reprendre du service dans la marine, avant de tomber, tué par les tirs à longue portée des énormes canons américains. On avait d’abord cru qu’il avait suffi d’une unique bordée, mais ceux qui étaient là se souvenaient très précisément de ce qui s’était passé. La Faucheuse s’était fait presque totalement démâter, le pont avait été enseveli sous les espars et le gréement, l’équipage décimé. La plupart des officiers, dont ce courageux commandant, étaient morts sur le coup ; là où régnait l’ordre, ce n’était plus que chaos et terreur. Au milieu des pièces désemparées et des ponts déchiquetés, un homme avait amené les couleurs. Non loin de là, la bataille avait continué jusqu’à ce que la frégate américaine Baltimore parte à la dérive, le plus gros de son équipage tué ou blessé. Le vaisseau amiral du commodore Beer, l’Unité, avait été pris à l’abordage, les marins et les fusiliers de Bolitho s’en étaient emparés. Il s’en était fallu de peu, mais, dans un combat naval, il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur.

La Faucheuse n’aurait probablement rien pu faire de mieux ; les autres avaient déjà défilé et elle partait à la dérive. Mais ceux qui s’étaient battus et avaient survécu à cette journée avaient pour unique souvenir la reddition du bâtiment alors que le combat faisait toujours rage. Leurs Seigneuries connaissaient le prix d’une frégate, même modeste, à ce stade décisif de la guerre, et la valeur d’un vaisseau est fonction de celui qui le commande. La hâte, l’urgence, le besoin d’oublier, tout cela avait joué un rôle. Mais, en cette belle matinée de printemps où le soleil dardait ses rayons entre les voiles qui battaient, le souvenir était toujours là. Il restait à bord de La Faucheuse moins de la moitié de l’équipage d’alors. Beaucoup étaient morts pendant la bataille ; les autres, trop grièvement blessés, étaient hors d’état de servir. Même dans ces conditions, pour les autres vaisseaux de cette escadre très soudée, La Faucheuse était en quelque sorte un paria, et tous portaient le fardeau de sa honte.

Le commandant, sortant enfin de ses pensées, vit son second qui se dirigeait vers l’arrière, s’arrêtant çà ou là pour glisser un mot aux hommes qui travaillaient. Ils avaient grandi dans la même ville et étaient entrés comme aspirants dans la marine à peu près à la même époque. Ce second était un officier intelligent et expérimenté, en dépit de sa jeunesse. S’il avait une faiblesse, c’était de trop discuter avec les matelots, y compris les novices, comme s’ils étaient sur un pied d’égalité – enfin, autant que cela puisse se faire à bord d’un vaisseau du roi. Il allait falloir que ça change. La Faucheuse devait se hisser au niveau de préparation requis et redevenir respectée, quel qu’en soit le coût. Il pinça les lèvres. Il y avait un autre lien entre eux. Il avait demandé et obtenu la main de la sœur du second. Son prochain commandement allait bientôt se décider… Il fut interrompu dans ses réflexions par l’appel de la vigie.

— Signal de l’Alfriston, commandant !

Le commandant aboya à l’intention de l’un des aspirants qui s’était réveillé :

— Une lunette, et montez voir ce que raconte cet imbécile !

Le second s’était approché.

— Commandant, j’ai peur que la vigie ne s’y connaisse pas trop en pavillons.

— Vaudrait mieux qu’elle rectifie ça, nom d’une pipe, ou on verra son dos sur le caillebotis ! Peu importe, ce n’est sans doute rien du tout.

Quelqu’un cria un ordre, des marins coururent jusqu’au chantier. Le second avait fini par s’y habituer. Le silence, cette obéissance immédiate, tout se faisait à la seconde. Le commandant lui dit :

— Dès que nous aurons reçu nos ordres et que nous nous serons débarrassés du Killarney, je désire qu’il y ait école à feu et exercice de manœuvre tous les jours, jusqu’à ce que l’équipage soit capable d’agir et d’exécuter les ordres en un temps minimum. Je n’admettrai aucun relâchement. De la part de quiconque !

Le second regardait silencieusement le profil de son commandant. Était-il possible que cela vous change à ce point un officier ? Cela pourrait-il me changer à ce point ?

Le rituel des punitions aurait de nouveau lieu dans l’après-midi. Deux hommes seraient punis au fouet à la coupée – deux sévères rations, mais dont l’une aurait pu être évitée ou réduite à un châtiment plus clément. Le staccato des roulements de tambour, le claquement des lanières sur le dos nu. Et cela recommençait encore et encore, jusqu’à ce que le corps ressemble à celui d’une proie lacérée par une bête sauvage…

Lorsque le second avait dit ce qu’il pensait de ces punitions extrêmes – souvent exécutées à la demande d’un jeune officier ou d’un aspirant –, le commandant l’avait repris vertement.

— La popularité, c’est un mythe, un leurre ! La seule chose qui compte, c’est la discipline et l’obéissance, envers moi et envers le bâtiment !

Les choses s’arrangeraient peut-être lorsqu’ils auraient rallié Halifax.

Presque sans réfléchir, le second répondit :

— Il est probable, commandant, que Sir Richard Bolitho soit de retour à Halifax et ait hissé sa marque.

— Possible.

Le commandant semblait se demander s’il n’y avait pas derrière la remarque de son second quelque intention cachée.

— Un officier général de grande réputation, reprit ce dernier. Mais on dit aussi qu’un amiral ne vaut que ce que valent ses commandants et ce qu’ils savent faire.

Le second n’avait jamais servi sous les ordres de Sir Richard Bolitho, et pourtant, comme tous ceux à qui il en avait parlé, il avait l’impression de le connaître personnellement.

Le commandant lui sourit.

— Nous verrons, monsieur. Nous verrons cela.

La voix suraiguë de l’aspirant se fit entendre du haut de la mâture :

— Signal de l’Alfriston, commandant ! Voile en vue dans le noroît !

Le commandant se frotta vivement les mains, l’un des rares gestes qui lui venaient sous le coup de l’émotion.

— Ce n’est pas l’un des nôtres, ou alors, les dépêches sont incorrectes.

Il se retourna à l’instant où les drisses et la toile s’animaient. La flamme se raidit, comme subitement réveillée. Le second s’exclama :

— Le pilote avait raison, commandant ! Le vent se lève !

Le commandant hocha la tête.

— Rappelez les chaloupes et hissez-les à bord. Nous sommes largement au vent tant de nos amis que de cet inconnu. Nous allons pouvoir ajouter une prise à notre tableau, pas vrai ?

Il mit sa main en visière pour observer les deux embarcations qui rentraient les remorques et se rapprochaient du vaisseau.

— Une petite contribution supplémentaire à la dot de votre sœur !

Le second était saisi par ce brusque revirement d’humeur. Voilà qui allait briser la monotonie de leur vitesse d’escargot.

Il détourna le regard lorsque son commandant ajouta, l’air sérieux :

— Avancez la séance de punition d’une heure. Ça les gardera occupés, et ça leur rappellera leurs devoirs.

Les trilles de sifflets résonnèrent, des hommes accoururent pour hisser les deux chaloupes par-dessus le passavant, d’autres montèrent en vitesse dans les enfléchures, parés à renvoyer de la toile. Les voiles commençaient à claquer, avant de se gonfler sous l’action du vent. Le second observait la mer, les ombres noires de la mâture de La Faucheuse, les voiles qui se brouillaient comme de la fourrure caressée à rebrousse-poil. La coque partit à la gîte, doucement d’abord puis plus fortement sous la sollicitation du vent et du gouvernail.

Un de ces moments comme en rêve le commandant d’une frégate. Mais l’allégresse, elle, ne serait pas au rendez-vous.

 

Le capitaine de vaisseau James Tyacke coinça sa coiffure sous son bras et attendit que le fusilier de faction l’annonce. Amusé, il aperçut une ombre furtive derrière la portière. Ozzard, toujours aux aguets, gardait un œil sur les visiteurs qui pénétraient dans son domaine.

Il trouva Bolitho assis à sa table devant quelques cartes sur lesquelles il avait pris des notes et maintenues par deux livres reliés de cuir vert et nervé de dorure. Tyacke reconnut des volumes appartenant à la collection que Lady Catherine Somervell avait fait porter à bord pour l’amiral. Elle n’était jamais très loin de son homme si actif, si sensible.

— Ah, James !

Bolitho leva les yeux et lui fit un grand sourire.

— J’espérais que vous souperiez avec moi ce soir et que vous laisseriez tous vos soucis à vos officiers, pour changer.

Tyacke regardait ailleurs, il contemplait le spectacle uniforme de l’océan bleu et gris, troublé çà et là par une longue houle brillante comme du verre. Il se représentait l’Indomptable au centre et leurs deux frégates, la Vertu et L’Attaquante, à huit milles par le travers de chaque bord. Au crépuscule, on resserrerait le dispositif, mais dans leur formation actuelle, ils pouvaient surveiller une bande impressionnante d’un bord de l’horizon à l’autre. Tyacke pensait également aux commandants, il savait que Bolitho était conscient de la puissance des vaisseaux voguant sous sa marque. Très au vent comme un fidèle terrier, le brick La Merveille complétait cette flottille, modeste mais efficace. Bolitho reprit :

— A voir votre tête, James, je sens que vous avez oublié ce que signifie ce jour.

— Provisoirement, sir Richard.

S’ensuivit un court silence, puis il reprit :

— Voilà deux ans, j’ai pris le commandement de ce bâtiment – il ajouta comme pour lui-même : Le vieil Indom.

Tyacke venait de s’asseoir. C’était tel un signal. Ozzard sortit de l’office, le commandant allait rester un certain temps.

— Depuis, nous en avons fait des choses, fit Tyacke.

Bolitho regardait les volumes reliés de cuir. Il la revoyait à Plymouth, dans la voiture, lorsqu’ils s’étaient séparés…

— Je me demande parfois comment tout cela va se terminer. Ou même, si nous faisons œuvre utile en attendant encore et encore que l’ennemi veuille bien montrer ses crocs.

— Il va arriver, je le sens. Quand je commandais la Larne – Tyacke hésita une seconde, comme si ce souvenir était trop douloureux –, les négriers avaient la mer entière pour eux et il leur suffisait de décider. Toutes leurs cargaisons, ces pauvres diables qui attendaient d’être déportés aux Indes ou aux Antilles… ou de se faire jeter par-dessus bord si nos croisières les trouvaient. Pourtant, c’est arrivé tant de fois…

Il se pencha en avant dans son fauteuil, dévoilant soudain son visage balafré, vision terrible à la lumière du soleil.

— Je le sentais, comme vous avez senti venir l’Unité. Sixième sens, instinct, appelez ça comme vous voudrez.

Il y avait chez cet homme une force et une fierté que Bolitho percevait parfaitement. On sentait que Tyacke, sans afficher d’orgueil mal placé ou de suffisance, était quelqu’un de vrai, qui avait les pieds sur terre. Il était pareil à ce vieux sabre accroché dans son râtelier. Bolitho se souvint de ce jour de septembre où ils avaient arpenté le pont côte à côte, les éclis arrachés aux planches volant de partout, les tireurs d’élite tentant de les ajuster, et eux qui ne faisaient rien pour cacher leur rang ni leur importance à ceux qui dépendaient d’eux.

Avery avait été là, lui aussi. Si ce dernier avait un ami à bord, en dehors de Bolitho, c’était bien Tyacke. Bolitho se demanda un instant si George Avery avait confié à James Tyacke ses préoccupations, mais en son for intérieur, il savait qu’il n’en avait rien fait. C’étaient deux hommes si différents, mais qui se ressemblaient pourtant par certains côtés : tous deux fort réservés, ils étaient tellement attachés à lui. Non, décidément, Avery n’en avait pas parlé à Tyacke – surtout s’il s’agissait d’une femme.

Bolitho, inconsciemment, avait effleuré le volume de sonnets shakespeariens ; on voyait qu’elle avait choisi cette édition avec soin car la typographie en était claire, facile à lire. Elle est si loin. Le printemps dans la campagne de l’Ouest. Les bergeronnettes sur la plage où ils se promenaient, les martinets et les choucas, la beauté et la vie qui renaissaient dans la campagne…

Tyacke le regardait presque avec tendresse. Peut-être valait-il mieux être seul, sans personne qui vous tienne par le bout du cœur, ou qui le brise. Ne pas risquer de connaître la souffrance. Puis il se souvint de la femme de Bolitho, lorsqu’elle était montée à bord, escaladant le flanc de la muraille, tel un vrai marin, sous les vivats des hommes. Non, il avait tort. Avoir quelqu’un, savoir que cette personne est là… Il repoussa ces pensées, tout cela n’était pas pour lui.

— Il vaut mieux que je remonte sur le pont, amiral, je vais aller surveiller l’école à feu.

Lorsqu’il se leva, sa tête touchait presque les barrots. Mais il ne paraissait pas s’en rendre compte. Après la Larne, Bolitho savait que l’Indomptable devait lui sembler un véritable palais.

— A ce soir, donc.

Mais Tyacke regardait la portière, la main levée comme s’il entendait quelque chose. Tous deux perçurent un bruit de pas, puis le claquement de la crosse du factionnaire qui annonça :

— Le second, amiral !

Le lieutenant de vaisseau John Daubeny entra. L’air marin lui rougissait les pommettes.

— J’ai entendu la vigie, lui dit Tyacke. De quoi s’agit-il ?

Bolitho sentait la tension monter d’un cran. Lui-même n’avait rien entendu. Tyacke était devenu comme une partie intégrante de son vaisseau : il était le vaisseau. En dépit des réticences qu’il avait manifestées lorsqu’il lui avait demandé d’en prendre le commandement, il ne faisait plus qu’un avec lui.

Daubeny cligna des yeux, tic fréquent chez lui lorsqu’on lui posait une question embarrassante.

— Signal de L’Attaquante, commandant. Voile en vue dans le noroît. Brick, l’un des nôtres.

Il baissa la tête sous le regard impérieux de Tyacke.

— La vigie en est sûre.

Tyacke répondit sèchement :

— Tenez-moi au courant, faites rappeler de bons timoniers et dites à Mr Carleton de se tenir paré.

— J’ai fait le nécessaire, commandant.

La porte se referma, Bolitho dit à Tyacke :

— Vous les avez fort bien formés, James. Ce nouvel arrivant, à votre avis, qui est-ce ?

— Nous n’attendons pas de courrier, amiral. Ni dans ces parages ni en ce moment – il réfléchissait à voix haute : Cela dit, dans les Bermudes, ce serait différent. Un convoi s’y rassemble, ou est sur le point de le faire.

Bolitho pensait à ce que Tyacke venait de déclarer. Il se souvenait de l’effet que cela lui faisait dans le temps. Il mourait d’envie de monter sur le pont, tout en sachant que cela risquait d’être pris pour une marque de défiance envers ses officiers ; ou encore, que sa présence en haut serait considérée comme la manifestation d’une certaine inquiétude. Il revoyait comme si c’était hier l’époque où il commandait et, aujourd’hui, rien n’avait changé. Relèves de quart ou appels à réduire la toile, c’est tout son être qui protestait de devoir rester à l’écart sur ce bâtiment qui était à son service.

Le factionnaire annonça :

— Le second, amiral !

Daubeny arriva, plus rougeaud que jamais.

— C’est l’Alfriston, amiral, un quatorze-canons. Commandant Borradaile…

— Je ne le connais pas, répliqua immédiatement Bolitho, n’est-ce pas ?

Tyacke hocha la tête.

— L’Alfriston a rallié l’escadre pendant que vous étiez en Angleterre, amiral – puis, après avoir réfléchi une seconde : Borradaile. Un officier de valeur. Il sort du rang.

Bolitho s’était levé.

— Signalez à L’Attaquante, qui répétera à l’Alfriston : ralliez l’amiral.

Il jeta un œil à travers les vitres épaisses.

— Je veux qu’il soit là avant le crépuscule. Je ne puis me permettre de perdre un jour de plus.

Daubeny avait retrouvé son visage de tous les jours, maintenant qu’il s’était déchargé de ses responsabilités sur ses supérieurs. Il expliqua :

— Il devait être avec l’escadre Sous-le-Vent en mission d’escorte, amiral.

Mais il sentit son assurance flancher sous leur regard inquisiteur et ajouta, presque humblement :

— Cela figurait dans ses ordres, amiral.

— C’est exact, monsieur Daubeny, lui répondit Tyacke. A présent, dites à Mr Carleton de hisser son signal.

Ozzard referma la portière.

— Pour le souper, sir Richard ?

— Il risque de prendre du retard – et, se tournant vers Tyacke : Nous allons tout de même boire un verre, j’imagine.

Tyacke se rassit, tête inclinée pour saisir les bruits étouffés qui provenaient du monde extérieur. Le grincement des drisses, la voix de l’aspirant chargé des signaux que l’on entendait très distinctement tandis qu’il indiquait à ses hommes quels pavillons hisser. Il demanda à Bolitho :

— Vous croyez que ça sent mauvais, amiral ?

C’était à peine une question.

Bolitho vit Ozzard qui arrivait avec son plateau, chétive silhouette penchée pour résister à la gîte, ce qui ne lui demandait aucun effort. Un homme sans passé, ou alors, avec un passé si terrible qu’il le hantait comme un revenant hante un cimetière. Il avait une telle importance, dans leur petit équipage.

— Je pense que ce sera notre prochaine affaire, James, même si elle ne sent pas bon.

Ils burent leur verre en silence.

Jacob Borradaile, commandant l’Alfriston, était différent de ce qu’avait pu imaginer Bolitho. Il était monté sur le pont pour observer la manœuvre du brick qui se rapprochait en tirant des bords, ses voiles rose saumon bien gonflées tandis qu’il gagnait sans traîner son poste sous le vent de l’énorme Indomptable avant d’affaler un canot dans la forte houle.

Tyacke avait dit de Borradaile : « Un officier de valeur. Il sort du rang. » Venant de lui, on ne pouvait espérer plus bel éloge.

Tandis que Tyacke l’introduisait à l’arrière, Bolitho se dit qu’il n’avait jamais vu de gaillard aussi mal tenu et aussi négligé. Il devait avoir le même âge que Tyacke ou Avery, mais était proche de la caricature : il avait des cheveux tout ébouriffés, mal taillés, et de grands yeux profondément enfoncés. Et pourtant, Bolitho, qui avait croisé dans sa vie tout ce que l’on peut imaginer, fut immédiatement impressionné. L’officier entra et prit la main qu’on lui tendait sans la moindre hésitation. Une poigne solide, une vraie poigne de marin.

— Vous êtes porteur de nouvelles graves, lui dit Bolitho.

Il vit que l’officier l’inspectait rapidement, comme il aurait fait d’une nouvelle recrue.

— Mais pour commencer, accepteriez-vous de prendre un verre avec moi ?

Borradaile s’installa sur le siège qu’Ozzard avait avancé à son intention.

— ’vous r’mercie bien, sir Richard. C’que vous prendrez ça s’ra parfait.

Bolitho fit un petit signe à Ozzard. Borradaile avait un léger accent du Kent, tout comme Thomas Herrick, son vieil ami.

Il alla s’asseoir sur le banc de poupe pour observer son visiteur plus à loisir. Dans sa main, le verre faisait l’effet d’un dé à coudre.

— Comme vous voudrez. Je vais veiller à ce que vous regagniez votre bord sans trop tarder.

Borradaile examinait un des sabords comme s’il s’attendait à apercevoir son brick à travers une mince bande d’eau agitée. L’Alfriston avait exécuté une fort belle manœuvre, l’équipage avait armé comme un seul homme. Tyacke, se souvenant de son précédent commandement, devait en penser tout autant.

— C’est rapport à La Faucheuse, sir Richard, commença Borradaile. Le lendemain du jour où on a passé les Bermudes, elle s’est lancée à la chasse d’un petit bâtiment un peu bizarre… un brigantin, probablement. L’Alfriston était encalminé, la mer était plate comme la retenue d’un moulin et le seul marchand qui nous restait, un navire de la Compagnie du nom de Killarney, était pas mieux pourvu que nous. Mais La Faucheuse avait du vent dans la culotte, elle, et elle a donné la chasse.

Bolitho lui demanda lentement :

— Cela vous a-t-il surpris, alors que vous étiez presque à destination ?

— Pas vraiment.

— Parlons d’homme à homme. La chose est d’importance. Pour moi, peut-être même pour nous tous.

L’officier le fixait de ses yeux creux. Bolitho entendait presque son cerveau peser le pour et le contre de cette affaire qui pourrait bien se terminer en cour martiale. Il parut enfin se décider.

— Le commandant de La Faucheuse venait tout juste d’embarquer, c’était sa première croisière loin de l’escadre.

— Le connaissez-vous ?

La question était peut-être un peu déplacée, mais c’était vital.

— Disons que j’en ai entendu parler, amiral… La Faucheuse a mauvaise réputation. Peut-être voulait-il lui rendre quelque chose que son bâtiment avait perdu.

Les bruits du vaisseau semblaient s’estomper tandis que Borradaile narrait les heures qui avaient décidé du sort de La Faucheuse.

— Il y avait là deux frégates, amiral. Des frégates de construction française pour autant que j’aie pu en juger, mais sous pavillon yankee. Elles avaient dû envoyer le brigantin en avant, pour servir d’appât, et une fois que La Faucheuse a eu viré de bord pour le prendre en chasse, elles se sont montrées.

Il comptait sur ses doigts.

— La Faucheuse était partie trop loin sous le vent pour reprendre son poste. Les autres ont bien dû rire, tout avait été tellement facile.

Bolitho jeta un coup d’œil à Tyacke qui écoutait, le menton dans la main, le visage de marbre.

Borradaile reprit :

— Je pouvais rien faire, amiral. On venait juste de reprendre un poil de vent. J’ai seulement assisté à la scène.

Bolitho attendait la suite, il ne voulait pas interrompre le fil de ses pensées. La chose n’était pas rare. Un jeune commandant avide de s’emparer d’une prise, peu importe si elle était modeste, désireux de prouver quelque chose à son équipage. Il savait l’amertume qui s’était emparée des gens de La Faucheuse après la bataille, lorsque son courageux commandant, James Hamilton, s’était fait tuer par la première bordée. Il était si facile de se laisser distraire pendant les quelques secondes qui suffisaient à un adversaire astucieux. Cela a failli m’arriver lorsque j’étais jeune…

Borradaile laissa échapper un profond soupir.

— La Faucheuse a viré de bord dès que son commandant a compris ce qui se passait. Je voyais tout, j’avais pris une grosse lunette à signaux… je savais que je devais le faire. Je me disais que c’était de la folie. La Faucheuse n’avait aucune chance, un petit sixième-rang contre deux gros… j’estimai que c’étaient des quarante-canons. Mais que pouvais-je y faire, qu’est-ce qu’on peut bien y faire ? que je me disais.

— Ont-ils engagé immédiatement le combat ?

Borradaile secoua la tête, il était devenu soudain tout triste.

— Il n’y a même pas eu d’échanges au canon. Pas un seul coup tiré. A ce moment-là, La Faucheuse avait mis quelques pièces en batterie, mais pas toutes. C’est alors que le Yankee de tête a hissé un pavillon blanc de parlementaire, puis il a affalé un canot qui s’est dirigé vers La Faucheuse.

Bolitho se représentait parfaitement la scène. Trois vaisseaux, et les autres en simples spectateurs.

— Ça a duré comme ça une heure ou deux, puis La Faucheuse a amené ses couleurs – et il cracha presque : Et tout ça sans un mot !

— Ils se sont rendus ? fit Tyacke en sortant de l’ombre. Ils ne se sont même pas battus ?

Le commandant de l’Alfriston sembla le voir pour la première fois ; ses yeux profondément enfoncés se remplirent de compassion lorsqu’il découvrit l’ampleur de ses blessures.

— Une mutinerie, répondit-il.

Le mot, obscène, effroyable, claqua dans l’air humide.

— Ce que j’ai vu ensuite, c’est qu’un canot a poussé de La Faucheuse avec quelques marins « loyaux » – et, se tournant vers Bolitho, il ajouta : Plus le commandant.

Bolitho attendait la suite. L’affaire était grave, bien pire que tout ce qu’il aurait imaginé.

Borradaile reprit lentement :

— Juste avant que La Faucheuse quitte son poste pour donner la chasse, des hommes subissaient le fouet à la coupée. J’avais peine à le croire.

Sa voix était empreinte de dégoût et de répulsion à ce souvenir ; un homme qui avait monté chaque échelon de la manière la plus pénible qui soit, franchi chaque grade avant d’accéder enfin au commandement. Un homme qui avait dû connaître tout ce que l’on peut endurer en mer, la brutalité qui règne dans les entreponts.

— Il est mort ?

— Non, amiral. Les officiers yankees qui étaient montés à bord avaient invité les marins de La Faucheuse à les rejoindre. J’ai entendu quelques-uns de ceux que l’on a autorisés à rembarquer dans le canot dire que c’était la vieille promesse « dollars contre shillings » – on leur offrait une nouvelle existence, une meilleure paie et un meilleur traitement sous la bannière étoilée.

Bolitho songeait à l’Anémone d’Adam. Quelques-uns de ses hommes avaient changé de bord lorsqu’elle avait baissé pavillon. Mais là, la chose était différente. Il ne s’agissait pas seulement de désertion, ce qui était déjà assez grave, il s’agissait de mutinerie.

— Quand ils ont dit qu’ils étaient d’accord, les Yankees leur ont signifié qu’ils pouvaient punir leur commandant de la même manière que ce qu’ils avaient enduré sous son commandement. Voilà ce qu’ils ont fait pendant tout ce temps-là. D’abord, quelques durs, puis c’est devenu de la folie. Ils se sont emparés de lui et l’ont fouetté jusqu’à ce qu’il soit réduit en charpie. Deux cents coups, trois cents, allez savoir. L’Alfriston n’a pas de chirurgien, mais nous avons fait ce que nous avons pu pour lui et pour son second qui a reçu des coups de couteau en essayant de le défendre. Ce pauvre diable survivra sans doute, mais je n’aurais pas aimé être à sa place pour tout l’or du monde !

— Et ensuite ?

— Ils ont amariné le Killarney avant de s’en aller. J’ai attendu quelque temps, puis j’ai remis en route direction les Bermudes. J’ai débarqué les survivants à Hamilton et fait mon rapport aux gardes-côtes. On m’a donné l’ordre de partir à votre recherche et de vous rendre compte.

Il fit des yeux le tour de cette grande chambre spacieuse, comme s’il la découvrait seulement maintenant.

— Ils auraient pu tout aussi bien s’emparer de l’Alfriston, s’ils avaient eu deux sous de jugeote.

Se levant, Bolitho s’approcha du balcon de poupe. Il apercevait tout juste la silhouette sombre du petit brick, seules les vergues hautes se teintaient encore de rose aux dernières lueurs du couchant.

— Non, commandant, vous deviez rester témoin, apporter la preuve qu’il y a eu mutinerie. Mutinerie provoquée, peut-être, mais qui reste impardonnable. Nous autres, qui exerçons le commandement, devons rester conscients de ce danger. Et vous êtes venu. C’est la seconde raison.

— Pour vous apporter cette nouvelle, amiral, lui répondit Borradaile. C’est aussi ce que je me suis dit.

— Et le commandant ? lui demanda Bolitho.

— Il a fini par mourir, amiral, pestant et jurant jusqu’à la fin. Ses derniers mots ont été : « On les pendra pour ce qu’ils ont fait ! »

— C’est le sort qui les attend si nous les reprenons.

Bolitho s’approcha de Borradaile, de cet homme si peu présentable, et lui serra la main.

— Vous vous êtes admirablement comporté. Je veillerai à ce qu’il en soit fait mention dans mes dépêches – il jeta un coup d’œil à Tyacke. Je pourrais vous proposer pour une promotion, mais je crois que, si je le faisais, vous me voueriez aux gémonies ! Gardez votre Alfriston.

En son for intérieur, il savait bien que Borradaile n’était pas mécontent qu’on le soulage des hommes transférés de la frégate qui s’était rendue. Le sentiment de honte était toujours là, et plus que jamais. C’était comme une pomme pourrie dans un baril : mieux vaut s’en débarrasser.

— James, veuillez raccompagner le commandant à la coupée.

Il les regarda partir, puis se dirigea vers le balcon de poupe et ouvrit une fenêtre. L’air était étonnamment froid, mais cela l’aida à se reprendre.

Avery, qui avait assisté à toute leur discussion sans dire un mot, laissa tomber tranquillement :

— Le piège était bien monté : un pavillon de parlementaire, et on provoque une mutinerie… A supposer que la provocation ait été nécessaire. Et désormais, l’un de nos bâtiments sous leurs couleurs.

Bolitho se tourna vers lui. Ses joues ruisselaient d’embruns qui faisaient comme des larmes, des larmes glacées.

— Crachez le morceau, mon vieux. Je sais pertinemment ce que vous êtes en train de penser.

Avery haussa à peine les épaules.

— Justice ou vengeance, appelez ça comme vous voudrez, mais je crois que je comprends maintenant ce que vous vouliez dire lorsque vous parliez de ce visage dans la foule. Vous attirer dans un traquenard, vous provoquer pour que vous vous lanciez dans une action sans espoir. C’est vous qu’il veut avoir.

Bolitho écoutait les trilles des sifflets, un commandant qui rendait les honneurs à un autre commandant.

Avery, tout comme Tyacke, partageait sans doute le point de vue de ce commandant émacié qui venait de s’en aller : que le commandant de La Faucheuse avait payé le juste prix de sa tyrannie. Il n’était pas le premier, fasse le Ciel qu’il soit le dernier.

Il songeait au pavillon qui ondulait loin au-dessus du pont et crut entendre la voix de Catherine. Mon amiral d’Angleterre.

Dans son esprit, il n’y avait aucun doute. Il savait sur qui devait peser la responsabilité. Et le blâme.

 

La croix de Saint-Georges
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